Les élèves de 1e en spécialité Humanités, Littérature et Philosophie devaient se glisser dans la peau d’un étranger qui découvrirait notre monde avec un regard neuf. Océane G., élève de 1e4, nous invite à adopter le regard d’un « androgyne », ces étranges créatures constituées d’un homme et d’une femme, comme collés dos-à-dos, que le poète Aristophane évoque dans le Banquet de Platon.
Lettre IX, lettre au peuple androgyne, 2021
La planète Terre est un endroit saugrenu où les êtres sont malheureux : ils n'ont de cesse de chercher à reproduire cette osmose originelle avec leur moitié.
Lorsque nous arrivâmes, nous fûmes surpris de voir ces hommes et ces femmes errer de manière insignifiante et dérisoire à la recherche de ce qu’ils appellent ici leur “âme sœur". Les Hommes de cette planète étaient à une époque, selon le récit que nous a conté un vieil homme, des êtres complets, mais très orgueilleux se suffisant à eux-mêmes et n’ayant pas besoin d’amour extérieur, tout comme nous. Cependant les dieux, lassés de l’orgueil humain ont séparé en deux ces êtres primitifs qui, dès lors, se mirent en quête de leur partie perdue. L’amour serait ainsi le besoin impérieux poussant chaque être à renouer avec sa complétude en retrouvant son autre moitié. Lorsque deux moitiés se retrouvent, un amour fusionnel les saisit.
Nous n’allons pas vous cacher que cela a été pour nous, être complet, profondément troublant, déconcertant, déroutant, comme si le monde s’effondrait sous nos pieds. Comment des êtres pouvaient-ils vivre ainsi ? Comment des êtres pouvaient-ils errer autant de temps à la recherche de cette autre moitié perdue ? Comment se faisait-il qu’ils naissent sans connaitre l’amour que nous porte un conjoint ?
Ce qui nous marqua le plus, ne fut pas leur apparence, bien qu’elle fût étrange, leur langage ou encore le narcissisme de certains qui s’aimaient plus qu’ils ne sont censés aimer autrui. Non, ce qui nous marqua le plus, ce fut cette solitude dans leurs yeux, cette envie désespérante de combler ce manque en s’accouplant avec toute personne ayant une conscience, cherchant tant bien que mal à retrouver leur moitié perdue. Ce fut même, pour certains de ces êtres incomplets, une obsession, un besoin primordial voire vital, le fait même de ne pas trouver sa moitié représentant un échec dans sa vie.
Ce que nous ne comprenions pas, fut aussi le rapport qu’ils entretenaient avec l’autre et surtout avec l’amour : la solitude, en effet, ne dérangeait pas certaines personnes, au contraire, certains trouvaient même un réel plaisir à être seuls et considéraient l’amour et l’autre comme un poison. Ainsi, ce n’était donc pas tous les êtres humains qui cherchaient cette moitié manquante…Mais un homme seul n’est-il pas un homme mort ? Un homme comme une femme qui n’aime pas et n’est pas aimé n’est-il pas non plus un individu mort ? Une âme seule, attendant seulement que la faucheuse vienne la chercher ? Cela fut pour nous étonnant que des êtres incomplets, ne cherchent pas leur moitié antérieure pour former l’être originel, et qu’ils vivent malgré tout heureux dans cette solitude.
Les êtres de cette planète sont des êtres bien trop complexes et absurdes.
Océane